Le genre dans la langue anglaise : mythe ou vérité ?

par Ophélie
Publié le Edité le 8 commentaires
Le genre dans la langue anglaise : mythe ou vérité ?

Le thème de ces nouvelles #HistoiresExpatriées, c’est le « genre ». Il y a plusieurs manières d’aborder cette idée, mais je vais enfiler ma casquette de prof et me pencher sur le genre grammatical ! Parce que si dans la plupart des langues indo-européennes les noms sont genrés, ce n’est pas le cas en anglais. Je me suis donc penchée sur le sujet et j’ai trouvé une explication.

Note de prof : de la difficulté d’expliquer le genre des noms à un anglophone

Le genre des noms, c’est bien le truc que mes élèves ne comprennent pas. Si j’avais gagné £1 à chaque fois que l’un d’eux m’a dit « pourquoi c’est féminin ? qui décide de ça ? », je serais terriblement riche.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas vraiment moyen de leur expliquer l’origine du genre des mots en français. D’une, parce que c’est compliqué et deux, parce que c’est time consuming. Puis ce sont des ados, ce n’est pas non plus follement intéressant pour eux. Alors je leur dis juste que « c’est comme ça, le mot table est féminin mais le mot crayon est masculin. » Et puis c’est tout.

Je leur ai expliqué que c’était les membres de l’Académie française qui décidaient de tout ça de manière complètement aléatoire (genre, « la » covid, sérieux ?). Je les ai formatés pour qu’ils imaginent les académiciens comme un groupe de Gandalf, Merlin et Dumbledore (you name it) – grande barbe blanche, lunettes cerclées de métal, sourire mystérieux – et ça nous fait tous beaucoup rire. Et puis, c’est pas si éloigné de la vérité quand tu vois l’âge de ces messieurs (le plus vieux est né en 1918 hein). Et comme si c’était pas tout, ils sont surnommés les Immortels alors bon…

Un membre de l’Académie française qui décide du genre du mot écorce – du moins, dans ma tête.

Ça part parfois sur des débats, des tentatives d’ébauche de règles, mais le problème c’est qu’il y a trop d’exceptions pour que ça fonctionne. Saviez-vous que tous les mots finissant par ette sont féminins en français, excepté le mot squelette ? Maintenant, oui. La fameuse règle du « ça finit par un e donc c’est féminin » ressort souvent, mais quid de père, frère, anglicisme, péage ? Donc c’est niet, pas de règle qui tienne la route.

Il y a aussi une autre question qui revient souvent « elles utilisent quel pronom, les personnes transgenres ? ». Ce n’est pas forcément évident pour eux de comprendre que les notions biologiques de femelle et mâle n’ont rien à voir avec les notions grammaticales de féminin et masculin.

L’Old English sur le territoire britannique : l’ancêtre de l’anglais d’aujourd’hui

Le Old English, ou vieil anglais, est la plus ancienne forme historique de la langue anglaise parlée sur le territoire britannique (principalement l’Angleterre et le sud de l’Ecosse) au Moyen-Âge. Ce sont les premiers colons Anglo-Saxons qui ont apporté les prémices de la langue au milieu du Ve siècle. Après la Bataille de Hastings en 1066, la langue anglaise est remplacée par l’Anglo-Normand, un dérivé du français.

Fun fact : England vient du vieil anglais Englaland, qui signifie ‘la terre des Angles’, du nom des envahisseurs germaniques du Ve siècle. Idem pour Scotland, avec ‘la terre des Scots’. Le français garde l’idée pour l’Angleterre (inutile de vous faire un dessin) mais pas pour l’Ecosse. Enfin si, ça vient du mot latin Scotia qui veut dire ‘pays des Scots’. Bref, fin de la parenthèse.

 C’est le vieil anglais qui nous intéresse pour ce billet. J’aime bien cette langue, notamment les sonorités qu’elle présente. D’ailleurs, il y avait à l’époque des lettres qui n’existent plus aujourd’hui : æ, (le g insulaire), þ (thorn) ou encore ƿ (wynn). Elles sont trop cool pour ne pas être mentionnées ici et ça me rappelle les cours de civilisation médiévale de la fac (et mon prof, Mr Morrison, qui écrivait toujours mediæval ♥).

Mais surtout, les noms en vieil anglais étaient genrés. Et oui !

Les genres nominaux en vieil anglais

A l’époque, la langue anglaise avait trois genres : le féminin, le masculin et le neutre. D’ailleurs, ça suivait les modèles allemand et latin car il y avait aussi des cas (nominatif, accusatif…). Mais ce n’était pas non plus tout à fait pareil, notamment parce qu’il n’y avait pas forcément de corrélation entre le mot et ce qu’il désignait.

Par exemple, le mot femme a tendance à être féminin dans pas mal de langues : die Frau en allemand, la femme en français, la mujer en espagnol, etc. Le mot femme en vieil anglais, ƿīf, était neutre. Vous avez dit aléatoire ? Totalement.

La disparition du genre grammatical : merci les Vikings !

Les linguistes spécialistes de la question estiment que c’est au XIIe siècle que les genres ont disparu de la langue anglaise, principalement dans le nord de l’Angleterre. Ça ne s’est pas fait en une nuit bien sûr, mais avec le temps, ils ont cessé d’être utilisés. Un peu comme le genre neutre en français d’ailleurs : il était présent en latin, mais n’a pas tenu le coup en français. Parce que c’était suffisamment relou avec deux genres.

L’explication viendrait du mélange des langues qui étaient parlées dans le coin à l’époque. Avec les invasions vikings des VIIe et XIe siècles, les populations parlaient un mélange de vieil anglais et de vieux norrois. Le problème, c’est que ces deux langues étaient toutes deux genrées, et que les genres n’étaient pas systématiquement les mêmes d’une langue à l’autre. Prenez le français et l’allemand par exemple. Voiture est féminin en français, mais neutre en allemand. Lune est féminin en français, mais masculin en allemand. C’était le même bordel entre vieil anglais et vieux norrois.

Du coup, si les deux langues étaient parlées en même temps par les populations, comment pouvaient-elles se mettre d’accord sur le genre des mots ? Comme les genres étaient contradictoires, la chose la plus simple à faire, c’était de s’en débarrasser. Easy peasy.

Un peu de genre quand même en anglais contemporain ?

En réalité, on peut presque penser que la majorité des noms anglais sont neutres par essence. Il y a des mots qui désignent des personnes et des animaux (tous de l’ordre de l’animé) mais qui restent neutres : a person, a parent, a child, a spouse. Ils ont beau faire référence à une personne, on ne sait rien de son genre.

D’ailleurs, l’anglais est bien plus simple pour les personnes non-binaires / genderqueer, puisqu’il n’y a pas de question à se poser ces mots, ni d’accord de l’adjectif qui en découle.

Cela dit, on ne va pas se mentir, certains mots sont genrés en anglais, qu’on le veuille ou non. Mais ce n’est pas du tout de l’ordre du genre grammatical, plutôt de l’ordre biologique. En gros, ce n’est plus le lien entre féminin et masculin mais plutôt entre femelle et mâle.

Il y a d’abord les mots spécifiquement liés au genre biologique de la personne : mother, father, woman, man, girl ou boy. Ça fonctionne aussi avec les animaux : tigress/tiger, geese/gander (oie et jarre). Puis il y a tous ceux qui sont liés aux métiers et fonctions : actress/actor, empress/emperor, heroine/hero. Dans ces cas-là, on peut assumer qu’il y a quand même une forme de genre nominal en anglais. Même si elle découle du genre biologique.

L’utilisation du genre féminin, what ?

Dans certains cas, l’anglais moderne fait ressortir le côté féminin de la chose. C’est ce qu’on appelle en linguistique le genre métaphorique, et ça s’applique aux objets inanimés (= non vivants). C’est aussi appelé la personnification dans le littéraire.

Si un genre doit être donné à un objet inanimé, c’est le féminin qui l’emporte.

Les bateaux sont un bel exemple. Les marins parlent des bateaux en disant her ou she. Apparemment, ce serait en référence à une figure maternelle qui guiderait le navire et son équipage. Le navire peut s’appeler Hercule ou Thor, on dira quand même she sails (mais on repasserait au masculin en français, il navigue). 

Bref, c’est assez intéressant, même si ça n’a pas vraiment d’explication (autre que mythologique / superstitieuse). 

Pourquoi es-tu partie (et restée) ?

Le rendez-vous mensuel #HistoiresExpatriées a été mis en place par Lucie, expatriée à Venise et auteure du blog L’Occhio di Lucie.

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8 commentaires

Clem 16 juillet 2020 - 12:26

Merci pour cette petite leçon de langage/histoire, j’ai appris plein de choses intéressantes!
J’ai toujours trouvé que l’anglais était une langue plus facile que le français parce que justement il n’y a pas cinquante mille règles différentes de conjugaison… Mais j’ai aussi toujours trouvé l’espagnol plus facile à apprendre justement parce que c’est une langue très similaire au français x) c’est peut-être pour ça que les anglais ont du mal avec le français, l’espagnol, l’italien… Mon copain apprend le français en ce moment et c’est vrai que c’est dur de lui expliquer pourquoi tel ou tel nom est féminin/masculin quand il me le demande. Je fais comme toi, je lui dis c’est comme ça et puis c’est tout xD
Des bisous xx

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Ophélie G. 16 juillet 2020 - 22:06

De rien ! 😀 En vrai, l’anglais a bien plus de règles qu’on pourrait le penser.. J’ai toujours eu horreur de l’espagnol à cause de ses similarités avec le français (et ça fonctionne avec toutes les langues latines pour moi). Par contre, j’adore l’allemand et les langues celtes insulaires (que je ne parle absolument pas, ça va de soi). Bon courage à ton copain pour apprendre le français ahah ! Bisous xx

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3 kleine grenouilles 16 juillet 2020 - 09:59

Merci pour cet article passionnant ! Je connais assez mal l’anglais, j’ai toujours trouvé cette langue très difficile que ça soit pour la prononciation ou la grammaire.

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Ophélie G. 16 juillet 2020 - 22:02

C’est marrant que tu trouves ça difficile alors que tu parles allemand ! En général, les gens pensent que l’anglais est super facile.. Mais je partage ton avis, la prononciation et la grammaire sont plus compliquées qu’on pourrait le penser. xx

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Camille 15 juillet 2020 - 20:41

Super intéressant, j’ai beau avoir un très bon niveau d’anglais, j’avais complètement oublié ça et pourtant, il y a quelques années, j’ai fait de l’ancien anglais (volontairement, hein, je suis maso). Effectivement, je me souviens bien, maintenant que tu en parles, des 3 genres qui ont disparu. Et on est d’accord pour ces jolies lettres qui ont disparu, quel dommage (je rêve qu’on ait un jour la certitude de la différence entre les deux lettres qui veulent dire « th », puisqu’il y a débat) ! Enfin, comme je suis une ex médiéviste, j’écris toujours mediæval en anglais. Faut avoir des principes 😉

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Ophélie G. 15 juillet 2020 - 21:25

Pourquoi maso ? J’aime trop étudier les langues – j’ai pas mal bossé sur le « Middle English » et « Middle French » pour mon master et c’était génial. Pareil pour le mediæval anglais, j’ai tendance à l’écrire comme ça aussi. :p xx

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Mariion2404 15 juillet 2020 - 15:22

Je pense que la langue anglaise est bien plus simple et plus sympa que la langue française. Combien de fois j’entends mes élèves de CM1 et CM2 râler car la conjugaison est difficile ! Merci pour cet article et les explications, il y a pas mal de choses que je ne savais pas.

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Ophélie G. 15 juillet 2020 - 16:12

Ahah je ne suis pas d’accord avec toi ! La grammaire anglaise est bien plus compliquée qu’on pourrait le croire au premier abord (coucou le subjonctif) et les règles de prononciation sont une horreur (ce foutu -gh ou th-). C’est une question de perception je pense, mais voilà. xx

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À PROPOS

Ophélie

Ophélie

Buveuse de café quasi professionnelle et collectionneuse d'images, je vis au Royaume-Uni depuis 2014.

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